Une bonne idée fausse
En 1759, vingt ans avant la Révolution, le petit Nicolas a dix ans. Son père l’envoie travailler chez un vigneron. La nuit, il dort dans les caves où la température est douce. Et où les rats ne s’aventurent guère. Un peu de paille entre deux tonneaux, malgré sa peur sous ces grandes voutes en pierre, Nicolas se cache tous les soirs dans cette espèce de niche.
Une nuit avant Noël, il est réveillé comme par des voix, puis des coups, et finit par se faire tremper d’une grosse pluie.
Totalement effrayé, il se précipite vers la sortie, pour se retrouver dans la neige sous un beau ciel étoilé. Il braille comme un beau diable « Au voleur », réveille les adultes qui accourent : dans la cave, les éclats de rire fusent.
« C’est le vin de Champagne qui fête l’arrivée du petit Jésus !»
« Il bouillonne, fait parfois péter les bouchons des bariques ! «
« Tu as pris une douche au Champagne, te voilà doublement baptisé ! »
« Il nous reste à refroidir la cave, à calmer les envies de fuite de ce vin bourru si on ne veut pas perdre la vendange »
Cette aventure se grave dans sa mémoire, et il y pensera, bien plus tard, dans ses réflexions sur la nourriture.
Adulte, il est devenu traiteur, réputé, rue des Lombards à Paris. Il profite déjà de nombreuses expériences professionnelles, et se passionne depuis longtemps pour la conservation des aliments. A cette époque, on sale, on sèche, on fume pour leur faire passer la mauvaise saison où rien ne fait ventre. Mais c’est un art difficile, et de toute façon, le goût devient vite dégout quand le lard est hypersalé, la viande décomposée, le poisson dur comme du bois, les légumes pourris.
Et il repense souvent à ce vin de Champagne, qui se conserve si bien, en gardant le même gout des années. Et il pense que ce vin a bouilli, que c’est l’ébullition qui l’a transformé.
Idée fausse, bien sûr, mais idée bonne.
On parlerait quelques années plus tard, quand la science arrive, d’une hypothèse fausse, mais d’une hypothèse d’un grand intérêt.
En 1783, ses expérimentations portent leurs fruits, il invite de bons amis à venir goûter ses premières conserves. Les exclamations de plaisir fusent, les convives sont ébahis de pouvoir gouter de tels plats en plein hiver.
Nicolas Appert étonnera encore ses hôtes, quand ils lui demanderont combien de temps comptait-il pour commercialiser ses conserves.
De sept à dix ans leur répond-il, après un instant de réflexion !
Sa claire voyance n’a rien de vraiment de surprenant quand on connaît comme lui sur le bout des doigts toutes les difficultés de l’aventure, toutes les chausse-trappes. La stérilisation demande une rigueur sans faille : le botulisme guette, pour ne citer qu’une des plus féroces maladies à l’affût.
Mais l’appât du grain rend les hommes tellement pressés !
Nicolas n’est pas pressé, c’est un homme méthodique, et c’est son plaisir.
Il image la musique « Time is the ennemy » de Quantic
Il sait que ses légumes doivent être de première fraîcheur, et que la récolte ne peut tolérer le ramassage d’un seul haricot pourri. Son père lui avait dit, et il l’a toujours vérifié.
Comment faire ?
Aux halles, les tricheurs sont légion qui vous présentent de beaux paniers avec une belle couche au dessus masquant de pauvres légumes abîmés. C’est le cas de le dire, ils vous en mettent plein la vue, mais c’est tout.
Près de Paris, les cultivateurs travaillent dans les marais, ce sont les maraîchers. Leurs légumes sont magnifiques, mais très fragiles. Nicolas l’a appris à ses dépens et en a compris l’origine. Ces légumiers utilisent larga manu l’engrais humain, qui ne manque guerre dans la capitale.
Chaque jour, les vidangeurs violent la réglementation en vendant leurs produits puants trop près de la capitale, ce qui est interdit par la loi.
Chaque jour les maraîchers violent la réglementation en utilisant ces excrétas frais, au lieu de les stocker trois ans pour que que la matière fécale « se consume ». En outre, ce « compost » doit être mélangé à la terre, alors que les maraichers épandent directement les vidanges fraîches sur le sol.
Les légumes sont comme « dopés », leur croissance est très rapide, leur aspect très engageant, et le risque sanitaire n’est pas mince.
Il a conclu de toutes ses observations pénétrantes qu’il lui faudrait maîtriser la chaine du procédé de A à Z, et donc cultiver lui-même les légumes, et aller jusqu’à connaître tous ses revendeurs de conserves !
Le succès de son procédé l »’appertisation », la « stérilisation simple » en fait, eut rapidement un succès international, bien avant Pasteur et sa « pasteurisation » ! Nicolas utilisait des bouteilles en verre épais et à goulot large. Elles étaient fermées par des bouchons de liège. Les anglais améliorèrent grandement le procédé en utilisant des boites en fer blanc, qui connut alors un extraordinaire succès, en équipant d’abord les armées et la marine.
Toute cette réussite n’enrichit pas Nicolas Appert, qui n’avait pas voulu déposer de brevet « pour que son invention profite à tous »
De l’observation, du bon sens, des bons sens, très peu de chiffres, très peu de chimie (Lavoisier, un des fondateurs de la science chimique perd la tête à la révolution), pas encore de « microbes », inconnus, très peu d’instruments, son nez et celui de son chien comme testeur.
Attention, les mots ont une définition maintenant bien précise,
Et par exemple il existe au moins cinq laits, le lait cru, le lait pasteurisé, le lait micro-filtré, le lait UHT, le lait stérilisé , tous différents !Personnellement je n’achète jamais de lait UHT, qui rend les producteurs prisonniers du « big business », et ne peut être « local ». Et moi qui aie tété le lait au pis de la vache quand j’étais plus jeune, je trouve que pour l’odeur et la saveur, ce lait UHT est bien tristounet.