Rouges jardinspar Guy Grandjean
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Un microbe à hélice qui aime l’acide

Bactériologie

Hibernatus, l’homme des glaces appelé Ötzi, est une momie retrouvée en 1991 sur un glacier des Alpes italiennes à l’occasion d’une fonte estivale importante. Congelé et déshydraté, c’est à dire en excellent état de conservation, ce corps d’homme a été livré à nos techniques d’analyse biologique les plus sophistiquées. Âgé de plus de 5 000 ans, Ötzi nous en apprend de bien belles sur notre passé, bien plus que les supputations parfois rêveuses, exhalées de centaines de squelettes dégingandés.

Couteau d’Ötzi

Récemment, on a appris qu’Ötzi avait été piqué par des tiques, puisque des signes de la maladie de Lyme étaient présents dans les tissus. On sait aussi qu’il était colonisé par Helicobacter, une bactérie inféodée à l’estomac, capable donc de vivre dans un milieu particulièrement acide. Alors que cette acidité tue de nombreuses bactéries ingérées, c’est une des fonctions.

La boite de Pétri pour cultiver les bactéries.

Cette bestiole commence peu à peu à faire sa « sortie de placard », comme disent les Canadiens, son « coming out », vu sa grande fréquence. La moitié de la population mondiale (!) héberge le susnommé Helicobacter, « Hélicoptère », en langage populaire malicieux, uniquement dans la muqueuse gastrique.

Mais à l’époque d’Ötzi, c’est probablement 100 % des hommes qui en étaient infestés. Attention, à cette époque comme à la nôtre, la plupart n’en souffrait nullement ! Cette observation peut paraître surprenante. Depuis Pasteur, monsieur tout le monde ne comprend pas bien qu’une bactérie ne nous veut pas forcément de mal. C’est quand on les connaît plus intimement qu’on réalise qu’elles sont bien plus souvent nécessaires à la vie qu’emmerderesses. Notre puissante immunité se joue aisément de la plupart d’entre elles.

Une levure se répand doucement sur un milieu gélosé

Dans un premier temps, ce petit hélicoïde habite nos intérieurs, et c’est tout : il les partage avec vous, c’est un simple commensal. (partager le repas, étymologiquement cum=avec,mensa=table)

Et ce n’est pas du tout exceptionnel : nous hébergeons, nous nourrissons des tas de microbes dont le nom agace, mais qui ne sont guère gênants.
Certains s’avèrent même prodigieusement nécessaires à notre bonne santé, on parle alors de symbiose. On estime que seule une personne sur dix sera malade du fait de l’Helicobacter, au point d’éprouver les désagréments du reflux gastrique, les douleurs intolérables de la gastrite, ou les affres des ulcères.

Bien sûr, dans ces cas, la bactérie devient féroce et vous poinçonne l’estomac, ce n’est plus une commensale, elle s’est transformée en redoutable pathogène. Puisqu’elle peut vous trouer la paroi stomacale jusqu’à l’ulcère perforé qui vous fera apprécier le jeu de mains des chirurgiens bienveillants. L’ulcère perforé était une urgence chirurgicale vitale fréquente.

Quant à cette transformation de M. Jekill en M. Hyde, on en ignore l’enchaînement et les déterminismes. On parle de l’importance du stress, mot fourre-tout, sans doute incontournable. Et du charivari d’une vie émotionnelle chaotique. Notre langue a d’ailleurs créé un mot évocateur : ne dit-on pas que l’on peut être ulcéré, à l’occasion d’une grande contrariété ? Et ce peut être aussi l’estomac qui est « stressé », par une alimentation « stressante ».

 

Helicobacter au microscope électronique

La culture de ce germe est récente et a surpris toute la communauté médicale dans les années 1980. Pourtant, ce microorganisme avait été observé bien des fois, depuis le début du XX e siècle, sur des lames colorées. Mais pas moyen de le cultiver, et normalement, une bactérie se cultive, comme un poireau. Heureusement, Pâques se fête aussi en Australie. Et donc génère de longs week-ends qui suscitent un peu de pagaille dans les labos. On regarde normalement les cultures après 1, 2, 3 jours de pousse, mais pas 6 jours. Et là ! Surprise ! Le piège a fonctionné, on tient enfin le germe.

Une colonie bactérienne âgée, qu’on voit donc rarement dans un laboratoire.

Les premières publications australiennes provoquèrent les sourires narquois et les moqueries des gastro-entérologues du monde entier. Sûr de son fait, le médecin australien Barry James Marshall en fournit la preuve en boulottant une bonne goulée d’hélicobacters. En quelques jours il développa une belle gastrite, accompagnée d’une haleine de chacal que sa maman osa lui signaler. Un peu d’antibiotique l’empêcha de poursuivre jusqu’à l’ulcère…

Cette action d’éclat secoua le monde médical, mais il lui fallut bien dix ans pour s’en remettre. Dur dur de ranger au grenier les anciennes thérapeutiques, ses anciennes idées, et de sortir des antibiotiques, somme toute classiques, qui guérirent miraculeusement les gastrites. On venait juste de mettre au point de formidables et complexes anti-acide, qui devaient faire la fortune des laboratoires pharmaceutiques. Ceux-là, on les a quand même gardés, mais en leur attribuant la juste place « d’adjuvants » de l’antibiothérapie. (Aux States, ils sont pourtant consommés encore en masse, malgré ces avancées médicales ; globalement leur alimentation est complètement brindezingue…)

En France le taux d’infestation est plutôt bas, de 20 à 30 %. Globalement, toutes les enquêtes épidémiologiques indiquent qu’insensiblement la colonisation diminue avec le bien-être « économique ». Dans les pays en voie de développement, pra- tiquement tous les enfants hébergent ce germe, et ceci dès le plus jeune âge. Et ceci était aussi la norme dans nos pays il y a quelques courtes dizaines d’années. Deux modes de contamination co-existaient ; le mode oro-fécal, qui domine dans les pays sans maîtrise des excreta. (kk, pipi, vomis, déchets). Et le mode oro-oral, qui persiste un peu chez nous, expliquant des formes familiales résiduelles.

Fontaine eau claire

En quelques générations, nous avons bouté hors de nos poumons les dangereux BK, agents de la tuberculose. En améliorant nos conditions de vie, notre habitat, en chauffant en hiver. Nous avons terminé le travail avec les antibiothérapies.

C’est un peu le même chemin pour notre Helicobacter, en améliorant l’hygiène et la gestion de nos excreta. Et les antibiotiques aident grandement à nous débarrasser de ce funeste portage qui peut parfois s’avérer délétère. Dans certains pays du Nord, le taux d’infestation est devenu très faible chez les enfants, ce qui fait de cette bactérie une bonne indicatrice du niveau de propreté d’un pays.

Erigérons

 

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