Rouges jardinspar Guy Grandjean
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Un fromage à double nationalité

Nature

En devenant étranger à la nature, nous sommes aussi devenus étrangers à nous mêmes. Nous sommes aussi naturels que le traquet motteux ou le caniche à poil ras. Laissez moi vous le montrer.

Perdrix avec petits, à mes pieds, qui se croit invisible.

Dans la vallée du Joux, cette année 1985, c’est la consternation.

 La célébrité locale, le vacherin, vient d’empoisonner de nombreuses personnes. Une Salmonelle à l’origine multiple s’avère responsable de milliers de cas. L’épidémiologie du moment ne sait pas déchiffrer, enquêter, investiguer. Mais clairement le fromage est impliqué.

Même si l’origine de la Salmonelle n’est pas identifiée, une thermisation du lait est mise en place. Chauffer le lait à moins de 72°C et pendant plus de 15 secondes. Le lait est un produit fragile, très fragile.

On se met à chauffer le lait alors que traditionnellement c’est le lait cru qui était utilisé.

1987, à peine deux ans plus tard, patatras.

Cette fois ci, malgré la thermisation, une Listeria s’invite, tue 34 personnes, la plupart des personnes âgées avec comorbidités.

L’état suisse ordonne la fermeture immédiate des fromageries.

Une enquête s’impose, ainsi qu’une mise aux normes modernes d’hygiène. Malgré le temps qui presse, il faudra plus d’un an pour serrer les boulons. Des producteurs abandonnent, devant la multiplicité des nouvelles habitudes à prendre.

Vaches suisses

Pourtant, là aussi, l’origine de la Listeria n’est pas claire.

Il est possible, mais pas certain, qu’à l’origine, la « maladie de l’ensilage », mot de l’époque, soit responsable. Dans le doute, les éleveurs sont invités à oublier cette pratique. Le vacherin suisse est fabriqué à partir de lait d’élevage de vaches locales nourries d’herbe et de foin.

Séchage de foin en Norvège

Un foin ramassé dans de bonnes conditions météo ne contient pas de Listeria, de même qu’un ensilage parfaitement maîtrisé. L’acidité, un pH  3,8 à 4,2 pour le maïs, fait s’effondrer la population bactérienne. 

Mais, depuis que l’on sait ventiler le foin engrangé, il est clairement plus facile de faire du bon foin que de faire un super ensilage quand les conditions climatiques sont mauvaises.

En réalité, la Listeria est un marqueur de propreté. Puisqu’en fait, c’est une bactérie présente « partout », bien que ce soit initialement une bactérie vivant dans le sol.

Si l’herbe est trop rase, en léchant le bovin s’enrichît en bactéries et parasites du sol (apportées par les bouses, c’est un cycle)-dont la Listeria

Propreté des aliments pour le bétail.

Propreté de l’élevage

Propreté de la traite

Propreté de la fromagerie.

Propreté du commerçant

Propreté de l’amateur de fromage, et de son frigo !

Le vacherin suisse reste encore marqué dans son pays par ses déboires.

Le vacherin français, lui, est resté fabriqué à partir de lait cru. Les professionnels sont conscients des difficultés, et ont réussi  à préserver l’exceptionnelle saveur de ce fromage en n’utilisant que le lait cru. Et l’Europe l’a toléré.

Depuis 1987, il y a eu des accidents, non médiatisés. 1995, 2015, 2016 etc. Les autorités sanitaires ont jugé inutile de les communiquer au public. Dans tous ces cas, les fromages contaminés avaient été tous consommés, aucun retrait n’aurait eu d’incidence, c’est la raison officielle évoquée.

Peu de Listeria dans le lait cru, qu’on peut donc boire sans arrière pensée, mais les fromages mous sont un milieu de culture favorable.

On s’est mis à traquer un autre germe, le E coli producteur de toxines, intolérable, au même titre que la Listeria. Les contrôles ont été multipliés, et donc fatalement les retraits d’aliments « contaminés » aussi. Ces retraits, très fréquents, peuvent être interprétés comme la présence grandissante de germes pathogènes.

Pas évident. Ce n’est pas la température qui augmente, c’est plutôt le thermomètre qu’on utilise plus souvent. Avec une nuance toutefois : les étés plus chauds sont favorables aux bactéries de tout poil !

La plupart des fromages suisses sont fabriqués avec du lait cru. La plupart de ces fromages à pâte pressée ne contiennent que très rarement des bactéries suspectes, qui n’en n’apprécient pas la texture. 

Vache suisse

Les fromages à pâte molle, eux, sont malheureusement un bon milieu de culture pour toutes bactéries, qui en apprécient l’humidité en particulier. 

Les recommandations sont donc les suivantes : 

éviter ces fromages pour les tout-petits, les personnes immunodéprimées, les vieillards et les femmes enceintes.

C’est-à-dire : les Camembert, Brie, Epoisses, Morbier, Vacherin, Livarot, Pont L’évêque, Munster, Langres, Reblochon, Maroilles, Pélardon, Saint-Nectaire…

Les grands industriels du lait utilisent des technologies complexes pour éviter toute contamination. Tout est difficile : comment recueillir le lait de nombreuses fermes en été en toute sécurité ? Mélanger des laits d’innombrables bovins dont certains ne sont pas en bonne santé rend délicat le maintien d’une bonne qualité . La traçabilité pour le buveur de lait n’existe pas.

Ces industriels finissent par nous livrer un lait UHT sans âme, des fromages sans saveur, et surtout… stériles. 95 % des français consomment ce tristounet lait UHT.

 Et c’est le paradoxe : nous vivons depuis l’origine avec un environnement riche de bactéries. Après avoir montrer l’importance du microbiote intestinal, nous déchiffrons maintenant les microbiotes cutané, buccal, pulmonaire, vaginal, urinaire…De nombreuses études ont montré qu’en stérilisant notre alimentation, notre environnement, nous favorisons le phénomène allergique, nous modifions profondément nos propres microbiotes, donc notre immunité. Les conséquences sur notre santé ne sont pas encore toutes identifiées, et elles sont nombreuses.

Le producteur de lait qui transforme lui-même peut maîtriser plus facilement tous les aléas. A commencer par faire les fromages juste après la traite, ce qui rend l’exercice beaucoup plus facile. La flore de barrière du lait empêche le développement bactérien inopportun. C’est du gâteau, par rapport au casse tête de l’industrie.

Les autres pathogènes que les Dalton( Listeria, E coli, Salmonelle, Staphylocoque doré)

Il existe donc deux réseaux : le réseau industriel, et le réseau des petits producteurs. 

Ils sont soumis aux mêmes contraintes réglementaires, mais les deux voies choisies ne se rejoignent pas !

Dans le domaine de la fromagerie, on pourrait dire que « le petit est merveilleux » ! Le grand, lui, est plébiscité, mais bien triste pour la saveur comme pour la santé !