Rouges jardinspar Guy Grandjean
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Un doigt qui s’oppose

Philosophie

C’est dans les arbres que le pouce a commencé à s’opposer à ses quatre compagnons, il y a fort longtemps, quelques millions d’années. S’accrocher aux branches avec cette pince articulée est bien plus simple ! Puis peut-être nous sommes-nous lassés de cette vie perchée, séduits par la station debout : nous avons pu alors naître à la manucure, admirer à loisir vos si belles mains.

À moins que ces arbres n’aient disparu de notre quotidien à l’occasion d’un charivari climatique, nous laissant Gros-Jean comme devant, dans cette partie d’Afrique où nous sommes nés. Recycler l’usage de ces deux mains, merveilles de la nature, allait de soit.

Toutes les activités permises par cette bimanie pouvaient alors s’épanouir, et le cerveau avec. L’éléphant a choisi, lui, d’allonger son nez, sa trompe est un chef d’oeuvre, mais sa dextérité a des limites.

Pas nos mains.

Les premiers homininés se sont distingués entre eux par l’usage de l’arme, de l’outil et de l’instrument de musique, leurs maigres reliques nous le suggèrent.

Les premières armes sont connues des chimpanzés : les cailloux et les lances ; l’idée suivante fut d’améliorer la propulsion. L’opposant, le pouce, non seulement le permet, mais affine le geste. Pas la main du singe qui reste au bord du chemin.

Est né ainsi le lance-pierre, en bois, en os ou en cuir. Les « bolas » ont été souvent retrouvées, ces boules reliées d’un lien en cuir qui témoignent d’un grand progrès dans l’art de la chasse.

Le propulseur en bois, d’une grande efficacité, était -est ?- encore utilisé par les aborigènes australiens. Il pouvait mesurer plus de 2 mètres de long ! On peut trouver sur le net d’impressionnantes chasses africaines à l’hippopotame où l’animal succombe sous une véritable pluie de lances.

lutte-faim
Là c’est sans propulseur

L’arc s’est ensuite répandu un peu partout.

Mais l’homme est aussi un cueilleur de longue date, et de grande efficacité grâce au « bâton à fouir », retrouvé sur tous les continents, avec ou sans pierre percée.

Certains groupes de chimpanzés utilisent des brindilles pour aller pêcher la termite, mais pas tous ; les primatologues ont noté l’incroyable longueur de l’apprentissage de ce geste qui nous paraît si simple. On a donc parlé d’une authentique « culture » propre à chaque tribu. L’individu, non initié, ne peut maîtriser le geste et, adulte, reste tout benêt devant une termitière.

C’est ainsi qu’on a vu s’instaurer « le lavage de patates douces » chez des macaques japonais. L’initiatrice était une jeune, et les modes de diffusion ont été minutieusement décrits par des zoologues japonais. Ces derniers avaient disposé ces patates sur la plage de sable, pour se faire accepter par les singes.

Les premiers macaques à adopter ce geste furent les jeunes de la même génération. Au bout de neuf ans, seuls 36 membres de la tribu sur 60 avaient adopté le comportement !

L’imitation, même d’un geste qui paraît hautement intéressant, ne va pas « de soi », dans ces cultures simiennes, tout comme dans les nôtres, du reste. Cette habitude s’est installée dans une troupe, très, très progressivement, au long des années. Après neuf années, presque la moitié s’abimait donc encore l’émail avec le sable, avec des dents qui crissent, c’est très désagréable, pour nous comme pour des macaques !

Le toucher de mains a été tabou quelque temps : les enfants ont adopté « le toucher de poings » bien plus vite que les adultes

En revanche, la création de l’instrument de musique reste le propre de l ‘homme. Les instruments retrouvés les plus anciens, des flutes, ont plus de 40 000 ans, jusqu’aux prochaines découvertes…Et là faire du pipeau sans vrai pouce n’est pas facile à imaginer.

C’est un long, un très long mûrissement que l’hominisation, et sans doute la maîtrise manuelle, accompagnée d’un langage primitif, lentement a participé à l’émergence de l’idéation, de la créativité.

Et tout ceci grâce à un opposant de base, notre pouce !

La main du matin