Rouges jardinspar Guy Grandjean
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Un biologiste qui ne sait pas où la vie va

Mystique

Une jolie petite fille : en fait, non, c’est moi, un futur vilain barbu, le biologiste de ce blog.

Si tu ne sais pas où tu vas, regarde d’où tu viens, dit un proverbe africain.

Une trace de pas

J’ai donc décidé de plonger en arrière, de trois pas.

Le premier pas me mène en 1955 à Paris

Avec mon frère

J’ai quatre ans. De nombreux jeunes garçons portent les cheveux longs. Tout simplement parce qu’il fait froid, très froid : cet hiver 1955-56, plusieurs villes affichent -30°C pendant un moment. Et les chambres ne sont pas chauffées. S’il fait 15°C dans la cuisine, c’est quand le poêle au charbon poussif ronronne à fond.

La mer est gelée sur les côtes bretonnes
Avec mon autre frère

Les cheveux sont un bon calorifuge, avant d’être de belles parures. Nous sommes quatre garçons, et nous avons été très peu malades, finalement, malgré ce rude climat. Grande cruauté, le VRS d’aujourd’hui touche plus les enfants qui vivent dans des chambres trop chauffées !

Ma grand-mère et son fils Pierre

Un pas de plus, la génération de mon papa. Et là, surprise, même coupe de cheveux ! Alors que deux après, c’est la coupe garçonnet !

Je ne suis pas sur que mon papa ait fait beaucoup de cerceau…

En 1926, les chambres ne sont pas non plus chauffées. Le service d’eau n’est pas encore bien administré, la typhoïde est fréquente, et l’histoire dit que mon papa fut sauvé par un ingestion forcé de lait par son père pendant plusieurs jours. On pourrait dire aujourd’hui que la typhoïde ne tuait qu’une personne sur dix atteintes…Plus tard, il sera objectivement sauvé par la Streptomycine en 1947 qui le guérira de la tuberculose.

Le troisième pas me mène dans le pays de mes ancêtres, la Bretagne, celle du XVIII ème siècle. Avec un oeil de biologiste.

C’est à l’époque une province encore isolée, dont les échanges sont faibles avec le reste du pays. L’intégration à la France est une longue histoire. Louis XIV, avide de guerres lève de lourds impôts, ce qui est spécialement mal perçu par les bretons qui ne sentent pas encore « français », et qui ne le payait pas encore (l’impôt royal).

Ma maman n’a quitté la langue bretonne qu’à l’âge de six ans.

Au XVIII siècle, la Bretagne vit donc d’elle même, donc, on pourrait parler d’autarcie. Elle ne vend plus ses tissus, et le poisson frais est intransportable. Elle est en fait coupée en deux. La Bretagne côtière avec son activité portuaire, sa pêche et la Bretagne intérieure. Sur la côte les paysans peuvent engraisser leurs sols avec le goëmon et le fumier. La culture du blé et de l’orge s’avère possible. Le poisson est abondant, la sardine grouille d’énormes bancs.

Partout ailleurs les seules cultures pratiquées sont le blé noir, le seigle, l’avoine qui ne demandent que peu ou pas d’engrais. Les rendements sont modestes : suivant les années, la disette, sinon la famine, est toujours menaçante. La culture de la patate n’existe pas encore.

La vie est difficile. L’habitat en pierre et en ardoises se généralisera plus tard, au XIX ème siècle. Avant, le chaume, ou la paille, fait la toiture, qui protège une pièce ou deux. C’est la chaumière, Avec le plus souvent un seul lit pour toute la famille. En hiver, la grande humidité rend l’habitat insalubre, d’autant que le sol est en terre battue, et les cheminées à bois peu efficaces.

En un mot, un paradis pour les microbes.

A partir de 1775, le « siècle des lumières » commence à mériter un peu son nom dans cette province de plus de 2 millions d’âmes. Un début d’administration médicale s’organise, et en fait, les données sont assez nombreuses pour pouvoir se faire l’esquisse d’un tableau de vie, d’un point de vue médical.

Clairement la Bretagne est déjà bien surpeuplée. C’est un point de vue de biologiste. Les sociétés insectes savent accorder leurs naissances à la ressource. Les hommes n’ont jamais su le faire, sauf peut-être au temps des transhumances obligatoires, l’époque des chasseurs cueilleurs. Cette démographie excessive toujours menaçante n’est jamais dite par les historiens : elle concerne pourtant toute la planète.

Comme-ci il existait un consensus non verbalisé : qui dit nombre, dit puissance.

Qui dit puissance dit survie, en terme d’affrontement, en termes militaires.

Grand paradoxe de notre histoire ! La population ne cesse de croître, et cette croissance est perçue avec bienveillance par les dominants, qui y décèlent une force pour se défendre des voisins.

Aujourd’hui, on le voit, cette croissance infinie, dans un monde fini, est impossible.

En Bretagne, surtout intérieure, la population est bien trop nombreuse, par rapport à la ressource. L’alimentation est déséquilibrée, le manque de protéines est très fréquent. En fin d’hiver, les réserves manquent. C’est ce qu’on appelle la soudure, le lien entre deux récoltes. Les populations sous alimentées ont une immunité déficiente, c’est une grande loi biologique.

Les épidémies se succèdent, à un rythme incroyable au XVIII ème siècle. D’autant que, province riche en ports, ce peut être aussi des épidémies importées, en particulier de Brest. La quarantaine n’étant pas systématique, et souvent peu comprise des populations.

La mortalité est telle qu’avec au moins cinq naissances par famille en moyenne, le siècle ne verra qu’une augmentation de 300 000 âmes !

La promiscuité et le froid humide fait le lit des infections transmises par voie aérienne.

La tuberculose est endémique, mais elle n’est pas clairement identifiée. Les pneumopathies bactériennes non plus, bien sûr, mais elles sont fréquentes et tuent les jeunes comme les vieux : pas d’antibiotique à cette époque.

La coqueluche fauche les petits enfants, ainsi que la rougeole et la scarlatine. « Les maladies éruptives » sèment la désolation, Variole en tête. L’angine à streptocoque A est dangereuse par ses complications, et la diphtérie frappe par petites épidémies. Les grippes ne sont pas identifiées mais leur présence est certaine.

Certains médecins pratiquent « l’inoculation », ancêtre de la vaccination, mais ils sont rares, et c’est la population aisée qui en profite.

Le paludisme n’est pas nommé, mais les fièvres de type paludéen, sont décrites dans les régions marécageuses. Petit rayon de soleil, le quinquina est déjà utilisé dans ces maladies fébriles.

Salmonelle

L’eau des puits est souvent contaminée par la salmonelle de la typhoïde, la gestion clairvoyante des excretas humains étant inconnue. La shigelle de la dysenterie, et le virus de l’hépatite A, qui provoque la jaunisse sont très présents.

L’agent de la gale est difficile à éradiquer, même si l’on connaît déjà l’efficacité du soufre.

Pratiquement la lutte contre les poux est permanente, avec l’épouillage en famille. Malheureusement ces insectes sont de temps à autres vecteurs du redoutable typhus qui fauche bien des vies quand l’épidémie est là.

Les puces sont à l’aise, bien sur, mais les dernières pestes sont anciennes, 1650, avec la fameuse peste d’Elliant. On peut dire que l’effroyable peste qui frappait régulièrement la France, donc la Bretagne, pendant plusieurs siècles, a régulé les populations. Et dans ce sens, elle a permis l’apparition de périodes fastes après les périodes de désolation totale…Le paysan récupérait la terre de ses voisins disparus…

Ce début d’administration, on pourrait dire d’épidémiologie, de la fin du XVIII siècle le montre : les virus, bactéries, acariens, insectes envahissent la vie quotidienne.

Quand je perçois cette suite sans fin de souffrances, de douleurs, de deuils, d’inconfort, de maladies, je me dis que la religion était une belle invention, malgré ses malversations. Comment supporter humainement ces conditions de vie inhumaines ? Sans essayer d’y donner un sens, même imaginaire ?

Je me dis aussi que, malgré la souffrance qui existe encore trop souvent en France, notre médecine a bouleversé la condition humaine et l’a rendu infiniment moins difficile que dans ces siècles passés…

Avec la sécurité alimentaire et l’habitat , c’est d’ailleurs pour moi le seul progrès significatif.

Amazon, le black fridai, les voitures, les plages du Sud, tout ça, c’est rien du tout…

En tout cas les chapelles bretonnes ont un charme fou, et le magnifique art breton a une histoire aussi longue que celle des microbes !