Rouges jardinspar Guy Grandjean
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Toxoplasme

Médecine

Je suis l’actualité de cette misérable bestiole depuis 50 ans, et pour cause … Cet abruti de parasite s’est plu à me grignoter la rétine quand j’étais adolescent. Résultat, j’ai perdu l’acuité visuelle d’un oeil. Au royaume des aveugles, les borgnes sont rois disait-on. Mais ya plus de borgne, plus que des amblyopes, et ya plus de rois…

Le toxoplasme, le poinçonneur des rétines

Bon

Le toxoplasme est un des parasites des animaux à sang tiède le plus abondant sur terre. On parle d’au moins 30 % de l’humanité ayant été squatté par ce microscopique animal. Il provoque une maladie le plus souvent bénigne, voire inapparente, donc non diagnostiquée, sauf quand l’immunité est défaillante. Au cours de la grossesse, du SIDA, et des maladies traitées par des puissants immunosuppresseurs, le parasite niché dans les tissus cérébraux et musculaires peut alors se manifester de manière dramatique. J’ai commencé mon métier de biologiste avec des redoutables diagnostics de toxoplasmose cérébrale chez les personnes atteintes du SIDA, ce qui est devenu rare après les trithérapies.

Un kyste qui éclate en libérant un grand nombre de toxoplasmes

Ce sont les félins les seuls hôtes définitifs, chez qui ils se reproduisent. Eux seuls peuvent en excréter des centaines de millions en quelques jours, quand ils sont atteints. Mais ces parasites peuvent contaminer bien d’autres espèces. Suivant l’immunité, ils le feront tout à fait silencieusement, ou de manière plus ou moins bruyante.

En plus des signes cliniques classiques, les biologistes ont observé des changements de comportement chez quelques espèces de mammifères contaminées.

Au microscope électronique : toxo, arc en grec

Chez les souris et les rats, les animaux tox+ (c’est à dire ayant des anticorps spécifiques prouvant une contamination passée) se montrent moins peureux, plus actifs dans l’exploration. Ils préfèrent même cette exploration au contact avec leurs compagnons. Ce type de rongeur passe en effet une grande partie de sa vie à fureter, inlassablement, à la recherche d’aliments. L’inhibition partielle de la peur peut bien sûr leur jouer de vilains tours : s’approcher trop près d’un gros matou, par exemple, et se faire croquer…

Cette souris qui nous éclaire

Une autre observation, en Afrique : les petites Hyènes tox+ (hyène aux?, hyénons ?)s’éloignaient d’une distance de 40 m en moyenne de leur principal prédateur, le lion. Les petites tox- restaient plus sagement à plus de 90 mètres des lions. Un comportement dangereux, donc, qui disparaissait vers l’âge de un an. Globalement les hyènes victimes des lions étaient plus souvent tox+, ne dit-on pas que les prédateurs repèrent d’abord « les animaux malades » ?

Ce loup dominant se fait lécher les babines par ses lieutenants. Des lèches bottes ?

Dans le parc de Yellostone aux Etats-Unis, 200 loups ont été observés pendant plus de 20 ans. Le félin qui assure la propagation du toxoplasme dans cette géographie est le puma. En gros 30 % des loups étaient tox+ . La moitié des loups mâles tox+ se sont séparés de la meute à l’âge de 6 mois, en moyenne, au lieu de 21 mois pour les tox-. Le constat était le même chez les femelles : 25% des tox- ont quitté la meute à l’âge de 30 mois, au lieu de 48 mois. Là encore l’inhibition de la peur est dangereuse. Mais ceux qui s’en sortent possèdent l’expérience et l’agressivité toujours nécessaires à la survie : les chefs de meutes sont bien plus souvent tox+.

Chez les Chimpanzés, dans une troupe d’une trentaine d’individus, les animaux tox+ étaient bien moins souvent effrayés que les tox- par l’odeur d’urine de leur prédateur, le léopard.

Tous ces changements de comportements sont dûs à la présence des kystes toxoplasmiques dans le cerveau. Ils ne semblent pas avoir de localisation préférentielle. Quant à l’action du parasite sur cette activité cérébrale, elle est pour l’instant l’objet d’intenses recherches fort complexes. Les différentes pistes sont l’action sur la dopamine, le système noradrénerqique, l’inflammation engendrée, le système endocrinien, en particulier la testostérone… La piste la plus explorée en ce moment est la piste immuno-inflammatoire.

On se doute bien qu’un cerveau humain envahi par des kystes toxoplasmiques, fussent-ils silencieux, n’est pas non plus sans conséquences sur la santé. Mais, bien sur, c’est très complexe, et les recherches sont balbutiantes.

Depuis longtemps déjà des auteurs ont montré que accidentés de la route, et du travail, sont plus souvent tox+. Les conducteurs tox+ ont de 3 à 4 fois plus d’accidents de voiture que les tox-. Ceci peut sans doute être mis en corrélation avec « l’inhibition partielle de la peur », ou une augmentation de l’agressivité.

Pour les troubles physiques congénitaux le virus de la rubéole, les virus CMV, ZIKA, le toxoplasme sont clairement mis en cause (Ici microcéphalie toxo)

Certains troubles psychiatriques comme la bipolarité et la schizophrénie sont explorés. Les maladies du spectre autistique aussi (TSA). Mais attention : ces maladies sont avant tout poly factorielles, à déterminisme génétique, voire épigénétique, et environnemental, au sens large.

L’environnement, dans ce sens, c’est un continuité de virus, bactéries, parasites, toxiques, hormones, mais aussi de stress affectif, émotionnel, qui se manifestent à travers les mêmes voies métaboliques.

D’où la complexité d’extraire « un facteur » « déclenchant »: le cerveau humain est la structure la plus complexe de l’univers, et bien que huit milliards, nous sommes tous différents, tous uniques.

La science physique est un jeu pour enfants à côté !

Trois virus principaux ont été mis en cause dans des troubles psychiatriques, par leur action délétère en début de grossesse : les virus herpès, CMV et grippaux ; beaucoup d’autres sont candidats aussi, avec une prévalence faible. Et un parasite, le toxoplasme, donc. Une étude estime qu’un quart des schizophrénies seraient concernées par une infection néonatale. Une autre calcule que dans une France sans chat, c’est un cinquième des schizophrénies qui disparaitraient d’un coup de baguette magique.(14 millions de chats en moins avec un bon chaticide !). Une étude faite sur les grands nombres remarque qu’il y a 1,6 fois plus de schizophrénie chez les familles avec chat, alors que chien, rongeur n’ont pas d’incidence. Certes corrélation ne veut pas dire lien de causalité ! Il reste que 77% de la population bipolaire française est tox+, alors que le taux est de 45 % dans la population générale…

Début de gang ?

Notre esprit façonné par la rationalité a du mal avec cette notion de co facteurs : le « mal « est engendré par une « cause ». Ces études ne prouvent pas que la toxoplasmose est la cause de certaines schizophrénies. Non. Mais elles montrent sans aucun doute que la parasite y participe activement dans un certain nombre de cas : c’est un co facteur important.

Tout comme cette année on a démontré que le virus de la MNI devait être présent pour le déclenchement des SEP : c’est un co facteur déclencheur essentiel de cette maladie.

Je me souviens en 1988 de cet enfant traité en psychiatrie pendant plusieurs mois, pour un diagnostic non évoqué de MNI…

PS Ce n’est pas vraiment un article de médecine, dans le sens où ces recherches n’ont pas encore débouché sur des solutions concrètes, médicamenteuses. Mais la compréhension de phénomènes jusque là obscurs peut avoir un simple effet déculpabilisant…