Rouges jardinspar Guy Grandjean
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Sommes nous des chimères ?

Nature

Ben oui.

Mais alors que la chimère, mélange d’animaux, est issue de notre imaginaire ancien, nous, c’est pour de vrai.

De même que le cochon vivant n’est jamais pur porc, comme tous les mammifères, nous sommes des chimères. Nous sommes faits de chair, mais aussi d’un nombre astronomique de bactéries et de virus. Sans eux nous ne pourrions survivre.

Reprenons le début.

L’histoire de la vie commence par l’apparition aussi simple que mystérieuse de grosses molécules dans l’océan premier.

CHON carbone, hydrogène, dioxygène, azote sont les quatre legos primitifs, peut être les premiers. Après quelques millions d’années, des microorganismes se sont individualisés dans cet habitat initial :  virus et bactéries sont la vie balbutiante, la vie débutante.

Et c’est véritablement un bain viral que prenons quand nous nous ébattons dans la belle bleue. Un cm3 d’eau de mer contient des centaines de millions de virus très simples, très petits, quelques dizaines de nanomètres.

Ils régulent la population bactérienne, qui elle-même régule la population planctonique, qui elle-même a une grande importance dans la régulation du CO2 atmosphérique.

Après ce début timide, invisible, la nature s’est essayée au gros, au cellulaire.

D’abord des « une seule cellule », des unicellulaires. L’amibe par exemple, c’est une seule cellule.

Un foisonnement extraordinaire a mené ensuite aux vers, aux insectes, aux crustacés, aux  poissons, puis aux quadrupèdes, aux reptiles, aux mammifères, aux singes, aux bimanes, aux hommes.

Chacune de ces vies a été , et est encore sans cesse sollicitée par ces innombrables et incontournables microorganismes, peu agressifs pour la plupart : l’immunité , propre à chacun, a évolué conjointement à ces myriades environnantes.

Elle détourne aisément la plupart de ces éventuelles envies minuscules de nuire.

Le maintien de chaque vie est donc un fabuleux équilibre entre l’immunité, d’une part, et le grouillant monde invisible, qui nous accompagne depuis l’origine.

Si l’immunité est atteinte, c’est la ruée des virus et bactéries, la vie peut basculer, et le microscopique s’installer. Le macrobe est menacé.

Quand est née la sexualité, la fécondation était alors externe ; pensez aux poissons qui arrosent de leur abondante laitance les oeufs fraîchement pondus.

La vie, à ce carrefour, a inventé la fécondation interne. Les petits pouvaient alors se développer à l’abri, dans une poche inscrite dans le ventre de la mère. Vagin et utérus apparaissent ensuite, et c’est une nouvelle entrée possible pour toute la flore minuscule dans nos appartements intimes.

Pour l’arrêter, la nature a simplement acidifié le vagin, dès la naissance. Le manque d’oxygène a fait le reste. Et peut être aussi l’hymen, simple barrière mécanique. Les infections vaginales de la petite fille sont rarissimes, et elles sont en général la conséquence de l’introduction accidentelle d’un corps étranger.

C’est dire l’efficacité de cette barrière acide, que l’on retrouve d’ailleurs aussi au niveau de l’estomac. Alors que l’ensemble de nos organes préfèrent la neutralité, le pH 7, voire un peu plus.

A l’adolescence, tout change. La sexualité, d’une certaine manière, favorise ce monde microscopique extérieur ; tous ces va et vient, parfois incessants, colportent le minuscule, et parfois même le minuscule hautement nuisible. On pense au tréponème de la Syphilis, aux virus Herpès, Papilloma, SIDA.

Colonies bactériennes diverses cultivées sur gélose

En France au début du XX ième siècle, 15 % de la population était syphilitique dans certains grands centres urbains.

Et un unicellulaire, donc de taille bien plus grande, disons de la taille d’un globule blanc, s’est aussi intéressé à toutes les entrées possibles chez les animaux supérieurs. Il est devenu parasite des cavités buccales, nasales, génitales ou digestives.

Il a perdu les grands espaces, a préféré le chaud, l’humide, sans lumière et sans oxygène.

Et il s’y est plu.

Dans l’espèce humaine, on le trouve dans le vagin de près d’1/3 des femmes qui consultent aux États-Unis en gynécologie, comme dans de nombreux pays africains. Le Trichomonas est le premier agent d’IST dans de nombreux pays.

Ce pourcentage vous parait élevé ?

C’est le même que celui observé à Bordeaux vers 1850,  au moment où on a commencé à s’occuper de cet intriguant, ce fameux Trichomonas vaginalis.

En France de nos jours on le retrouve chez moins de 5 femmes sur cent. L’hygiène, la médecine et la sécurité sociale sont passées par là.

Ce parasite n’apparait qu’après l’adolescence, c’est dire qu’il est lié aux activités sexuelles. Et c’est à ce moment là que, devant ces tentatives d’invasion réitérées, de microorganismes de tout genre,  la vie a choisi une alliance très curieuse.

Pour renforcer les défenses de l’individu.

Sous l’influence de poussées hormonales, le vagin se met à abriter des quantités énormes d’une bactérie amie, le Lactobacillus, des milliards par ml de sécrétion.

C’est un producteur d’acide lactique, qui double sa production à ce niveau, car cet acide est naturellement déjà secrété par l’épithélium vaginal, à partir du glycogène. Ces bactéries génèrent aussi de l’eau oxygénée, des bactériocines, et autres peptides anti bactériens. Un arsenal peu apprécié par la populace microbienne étrangère.

Chimère poule punk

Nous sommes donc des chimères.

Mi homme mi bactérie mi virus

Le Lactobacille crispé, qui est la variété la plus commune de Lactobacillus est notre ami, notre allié. Ce barrage de bactéries amies existe dans d’autres organes, le système digestif, la peau, le nez …

Respecter cette flore symbiotique va devenir un enjeu de santé. Au niveau vaginal, une antibiothérapie malhabile détruit cette faune bienveillante, et les levures peuvent facilement s’implanter, les fameux Candida qui se moquent d’un PH acide.

Si  l’infection à Trichomonas est devenue rare chez nous, en revanche le bouleversement de l’écosystème vaginal est encore fréquent dans nos pays. Il est plus gênant que grave, excepté pour les femmes enceintes.

Pour des raisons non encore totalement élucidées, le pH vaginal se met à augmenter, et les lactobacilles disparaissent. Un inconfort s’installe, des odeurs désagréables y participent.

La douche vaginale en est un pourvoyeur, car se débarrasser de cette flore intime, c’est vouloir malgré nous se débarrasser d’amies qui nous veulent du bien.

La cigarette enfume aussi les lactobacilles, qui n’apprécient pas le benzo(a)pyrène-diolépoxyde retrouvé en abondance dans les sécrétions vaginales. En outre, ce toxique libère des prophages, sortes de virus, contenus dans les bactéries, qui, libérés, les détruisent. Les différents produits « parfumés » de toilette intime  gênent aussi notre lactobacille crispé.

La baisse en oestrogène, physiologique aux âges extrêmes, nuit aussi  à cette fructueuse coopération : c’est dire si le sujet n’est pas simple, mais toujours est-il que la bonne santé vaginale ne se conçoit qu’avec la bonne santé lactobacillaire !

La chimère que nous sommes tous est objet d’innombrables travaux médicaux.

Culture de bactéries : en bleu, les lactobacilles, en petites colonies.

Première image : chimère de poils, poussières, fils, moutons regroupés par un coup de balai. (Photo Eve Loreaux)