Rouges jardinspar Guy Grandjean
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Quand la lèpre tatoue les oreilles de l’écureuil roux anglais

Bactériologie

La lèpre, le tatou et l’écureuil roux

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Une des origines possibles des cas de lèpre américains autochtones a été dévoilée il y a déjà quelques années : on a su faire parler encore l’adéhenne, l’ADN, la déenne, cette nouvelle déesse.

La contagion a pu sournoisement s’établir à partir d’animaux inconnus de l’ancien monde,-l’Europe-, les tatous.

Tatou en boule

Ces animaux sont fréquemment porteurs sains de la bactérie responsable de cette très, très ancienne maladie. Drôles d’animaux, qui habitent donc les Amériques depuis bien longtemps. Ils vivent caparaçonnés, et s’enfouissent rapidement en cas de danger. Ils peuvent aussi se  mettre en boule, dès qu’ils les ont (les boules). Il faut alors une puissante denture pour s’y attaquer… ou des armes : cet animal est consommé couramment.

Dans les laboratoires, la bactérie n’était cultivée que dans les coussinets plantaires de pattes de souris, la simplicité même.

Tout simplement parce que ce bacille ne se reproduit qu’à des températures comprises entre 27°C et 33°C. Avec ses 34 °C, le tatou, animal ancien, ne peut être qualifié d’homéotherme.

Ce petit détail, qui apparait anodin, a entraîné un grand retard dans la compréhension de la maladie et dans la mise en oeuvre des traitements. 

C’est en 2016 qu’on a montré que ce bacille était fréquemment retrouvé chez les Ecureuils roux anglais. Il provoque des dermatoses, surtout donc dans les parties « fraîches » de l’animal : les oreilles ,le bout des pattes et la peau du visage.

Plus récemment encore, les analyses ADN ont montré une forte parenté entre le type « écureuil » et celui de l »homme du moyen âge » anglais. A cette époque, il y était chassé pour sa fourrure, et parfois « animal de compagnie », d’où un contact étroit, donc favorable aux contaminations.

Ecureuil de La Chauve

Le bacille maudit est très proche de celui de la tuberculose. Il fut découvert vers 1880 par un savant norvégien Hansen. Il établit la nature infectieuse de la maladie en suivant de près la population norvégienne établie aux Etats-Unis.

Comme par enchantement, la maladie disparaissait avec l’émigration ; à l’époque, la Norvège était un des pays les plus pauvres d’Europe ; il y régnait souvent une hygiène sommaire, comme partout à cette époque, et les lépreux vivaient souvent dans des conditions de vie les plus difficiles.

Une bonne partie de la population connaissait le plus grand dénuement, il n’était pas rare d’y croiser femmes et enfants pieds nus !

Dans ce pays le plus septentrional d’Europe.

Hopital pour lépreux à Bergen

A Bergen, la ville qui a connu le dernier hôpital pour lépreux d’Europe, les conditions de vie étaient particulièrement difficiles ; un taux d’humidité extravagant, entretenu par 260 jours de pluie par an se conjuguait avec le manque de luminosité pendant l’hiver.

Peu de chauffage, avant la manne pétrolière.

Dans le reste du continent, cette affreuse maladie avait disparu plus tôt, entre autres par isolement des personnes atteintes dans des léproseries. Ces hospices, à la fin du moyen âge, disposaient en général de locaux bien entretenus, des sols carrelés, un personnel religieux dévoué.

A l’inverse, les habitats en terre battue, peu aérés, peu lumineux, froids et humides, pouvaient héberger ad eternam les bacilles de Hansen, comme ceux de Koch, responsables de la tuberculose.

Maison en Norvège

Etrangement, la religion s’était emparée de cette malédiction depuis des lustres, ensorcelant l’infectieux sans même nommer l’essentiel : la contagion, qui, pourtant faible, en assurait l’universalité.(probablement par les postillons)

Alors que le bacille tuberculeux, en aérosol, contamine bien plus  aisément.

Une personne déclarée ladre subissait une cérémonie religieuse terrible : couchée à terre, sous un drap noir, elle était déclarée  officiellement 

                     « morte au monde des hommes »

mais bien vivante « dans le domaine de Dieu » L’éviction des lépreux de la communauté était connue de  très nombreux pays.

La Norvège

Un poète lépreux : Eugène DAYOT (1810-1852)

 Un poète réunionnais, Eugène Dayot fut lépreux.

Il nous laissa un poème très émouvant :  “le mutilé” écrit le 15 mai 1840.

Vingt ans et mutilé !… Voilà quelle est ma part ;

Vingt ans … c’est l’âge où Dieu nous fait un cœur de flamme,

C’est l’âge où notre ciel s’embellit d’un regard,

L’âge où mourir n’est rien pour un baiser de femme.

Et le sort m’a tout pris ! tout… excepté mon cœur !

Mon cœur… à quoi sert-il ? Ironique faveur !

C’est le feu qui révèle au nautonnier qui sombre

Le gouffre inévitable au sein de la nuit sombre ;

C’est la froide raison rendue à l’insensé :

          Heureux s’il n’eût jamais pensé !

Mais ton amour est là, mon ange tutélaire,

Et mon cœur souffre moins lorsque je dis : ma mère.

A ce large festin des élus d’ici-bas

Qui me dira pourquoi je ne suis qu’un Lazare ?

La vie est une fête où je ne m’assieds pas ;

Et pourtant j’ai rêvé sa joyeuse fanfare !

La douleur m’a fait boire à sa coupe de fer ;

Jeune vieillard, j’ai bu tout ce qu’elle a d’amer.

O vous qui demandez si l’âme est immortelle,

Et ma part de bonheur…dites !…où donc est-elle ?

Quoi ! Dieu nous mentirait, quand sa sainte équité

          Nous promet l’immortalité !

Mais ton amour est là, mon ange tutélaire,

Et je ne puis douter, lorsque je dis : ma mère !

Toute existence ici s’échange par moitié,

Chaque âme peut trouver cette âme de son rêve,

Moi, quand je crie : Amour, l’écho répond : Pitié !…

Et ce mot dans mon cœur s’enfonce comme un glaive,

Quelle bouche de femme éteindra dans mon sein

Cette soif d’être aimé qui me brûle sans fin ?

Vivre seul dans la vie… Oh ! ce penser me tue !

Il vibre comme un glas dans mon âme abattue.

Vivre seul, quand mon cœur est si riche d’amour !

          C’est à ne plus aimer le jour !

Mais ton amour est là, mon ange tutélaire,

Et je veux vivre encore lorsque je dis : ma mère !

Souvent le front ridé de mes sombres ennuis,

J’ai voulu, dans la foule, être oublieux et vivre ;

J’ai voulu respirer au sein des folles nuits,

Ces voluptés du bal dont le prestige enivre,

Imprudent que j’étais !… J’ai maudit mes désirs,

J’ai maudit les heureux, j’ai maudit leurs plaisirs !

Car je voyais glisser, dans leur valse en délire,

Ces vierges que le ciel enfanta d’un sourire ;

Je les voyais et nulle en passant près de moi,

          Ne disait d’un regard : à toi !

Mais ton amour est là, mon ange tutélaire,

Et je ne maudis plus, lorsque je dis : ma mère !

Oh ! vous ne savez pas, vous qui vivez heureux,

Ce qu’un long désespoir peut jeter dans la vie !

Vous n’avez point senti ce moxa douloureux

Qui torture le cœur et qu’on nomme l’envie !

Quand un rêve d’amour vous suit au bal bruyant,

L’Espérance du moins s’y montre en souriant,

Mais moi, lorsque le bal a fini ses quadrilles,

Ai-je une fiancée entre ces jeunes filles,

A qui je puisse dire en lui serrant la main :

          Dieu m’a fait un bien doux destin !

Mais ton amour est là, mon ange tutélaire,

 Et puis-je être envieux lorsque je dis : Ma mère !

Ah ! lorsque vers la tombe inclinera mon front,

Je n’aurai pas une âme à qui léguer mon âme ;

Arrivé seul au port où m’attend l’abandon,

Sans sourire, sans pleurs, je quitterai la rame,

Aucun enfant au seuil de mes jours éternels

Ne viendra recevoir mes adieux paternels !

Autour de mon chevet, à l’heure d’agonie,

Mes regards vainement chercheront une amie !

Et moi sur ce globe où je vins pour souffrir

          Plus rien…pas même un souvenir !

Mais ton amour est là, mon ange tutélaire,

Et si tu me survis, tu pleureras, ma mère !

Ecureuil norvégien

Le 11 mai 2001, un arrêt du tribunal de Kumamoto, dans le Sud du Japon, a condamné l’Etat à indemniser un groupe de 13 anciens lépreux qui avaient intenté un procès dans le but d’obtenir réparation pour la

              « violation de leur droit constitutionnel au bonheur »

En 1996 avait été abrogée la loi de 1953, qui imposait la ségrégation des lépreux. En pratique, cette année-là ont été libérées 6000 personnes atteintes par le bacille de Hansen, internées sur des îles.

Mais la plupart décidèrent de rester, aucune famille ne les attendait. Le film « Les délices de Tokyo » aborde le sujet du rejet et de la honte.

Au XX ième siècle, alors que la nature infectieuse de la maladie avait été clairement mise en évidence, des savants japonais continuaient à propager l’idée d’une détermination génétique. Le déshonneur frappait donc toute famille dont un membre pouvait avoir été contaminé. La personne était donc anonymisée, puis placée dans ces léproseries, et la dernière parole entendue était le terrible                    

                                « Ne reviens jamais »

Au moyen âge, la maladie était considérée comme la punition d’une faute commise dans une vie antérieure. Le lépreux était considéré comme « abandonné des trois trésors »

Bouddha, la Loi, et les moines.

Il est très frappant de constater que, dans une toute autre civilisation, à des milliers de kilomètres, les léproseries étaient encadrées de manière très similaire. 

Un peu plus tard, dans ces deux mondes, des prédicateurs tentèrent d’adoucir le sort de ces malheureux.

Sans succès.

Ils restèrent au Japon des « non humains », jusqu’au XX ième siècle où le succès mondialisé de l’eugénisme nazi contamina le pays du soleil levant…

Norvège