Rouges jardinspar Guy Grandjean
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Marthe avec un h

Médecine

Marthe est née en 1925 dans une famille de paysans à Meaux, réputée pour son délicieux fromage, le Brie. Cinquième d’une famille de sept enfants, avec une maman décidée à tout faire pour favoriser leurs études, elle décide jeune de devenir médecin, avec une de ses grandes soeurs qui la guide. Elle lui avait prédit « médecin issu du milieu rural, et en plus, femme, il te faudra travailler deux fois plus que les autres ! » Cette soeur adorée est malheureusement tuée à la libération de Paris en 1944.

Marthe passe l’internat, passe sa thèse en cardiologie pédiatrique, les femmes sont peu nombreuses : 2 sur 80 internes. Elle suit son maître de l’époque, Robert Debré, qui règne incontestablement sur la pédiatrie en France, qui en fait est née avec lui. Il lui propose d’aller se former aux Etats-Unis dans une Université dynamique, Harvard, ce qui est une nouveauté.

Lichen

Arrivée aux Etats Unis, elle doit travailler un mi temps comme technicienne de laboratoire dans un domaine tout à fait nouveau : la culture cellulaire.

On sait cultiver les bactéries, pas les cellules. Or cette pratique a de beaux jours devant elle : éviter les expérimentations cruelles sur les animaux dans bien des domaines de recherche, étudier la cellule et son fonctionnement, les sujets sont très très nombreux.

Colonies bactériennes sur gélose desséchée

De retour en France, pas de chance, plus de poste libre pour elle. Elle se retrouve chez le professeur Turpin, un spécialiste des enfants appelés mongoliens à cette époque.( Nous sommes dans les années 1960) Il est persuadé que ces troubles ont une origine génétique . Encore faut-il le prouver, ce qu’elle lui propose de faire, après cette année d’expérience américaine.

Elle créé ainsi le premier laboratoire de culture cellulaire en France, de bric et de broc. Elle emprunte 100 000 francs à titre personnel pour se payer la verrerie, somme qui ne lui sera jamais rendue. Elle élève un coq, dont elle a besoin du sérum, elle se sert de son propre sang aussi pour cultiver ces cellules, et bien d’autres produits nécessaires à cette manipulation complexe : on fait exploser la cellule par choc osmotique au bon moment de la division cellulaire.

. Car visualiser les chromosomes en les colorant n’est possible qu’au moment de cette division cellulaire, les chromosomes se condensant. Au repos ce ne sont que de fins filaments plus ou moins agrégés, pelotonnés entre eux, bref indiscernables en microscopie optique. Marthe créé une coloration spécifique, et le résultat est là : les 46 chromosomes d’une cellule normale sont parfaitement visibles.

Dans le service de Dcr Turpin, les prélèvements faits sur les enfants mongoliens confirment l’intuition du professeur : les chromosomes sont au nombre de 47, et plus précisément c’est la paire 21 qui est accompagnée d’un surnuméraire. Le mot trisomie 21 est né, et le mot « mongolien » disparait.

Un beau choc non osmotique

Ne disposant pas de microscope sophistiqué photographique, elle demande au Dcr Lejeune de photographier ses lames colorées. Lames qu’elle ne reverra jamais … C’est ce jeune médecin qui tire la couverture à lui, et publie ces nouveautés en son nom, le nom Gautier apparaissant en second, sans h, ! Ce qui est contraire aux usages dans l’univers scientifique. Se sentant « gênante », elle changera de cap et consacrera sa vie à ses premières amours, la cardiologie pédiatrique. Jeune et impressionnée par toutes ces volontés imperturbables, elle laissa faire…

Mais bien plus tard, en retraite, elle apprend que Dcr Lejeune, décédé, qui a fait carrière comme apôtre anti IVG, et anti contraception, tout auréolé de sa gloire de découvreur de la trisomie, est en cours de canonisation à la papauté à Rome ! Gloups !

C’est est trop, elle reprend langue avec ses autorités scientifiques, qui rétablissent la vérité quelques années avant son décès…