Rouges jardinspar Guy Grandjean
search icon
Retour

Le pou malade de l’homme

Nature

LE POU MALADE DE L’HOMME

Le pou nous accompagne depuis la nuit des temps.

Dans notre passé préhumain, comme pour la plupart des primates, il était combattu artisanalement, à la main, j’allais dire pied à pied. Nombreuses sont les espèces animales qui passent une bonne part de la journée à la toilette, le plus souvent une toilette à sec.

Avec le bec, avec les pattes…

D’autres se font aider par des auxiliaires, le plus souvent des oiseaux insectivores. Les singes sociaux pratiquent le « grooming », le toilettage, dont fait partie l’épouillage. Tous les ectoparasites (puces, tiques, poux) sont éliminés ainsi que les débris, les poussières. Cette pratique collective est d’une grande efficacité pour maintenir la propreté de chacun, donc de tous.

Mais en fait, nous devrions parler de papouillage.

Car c’est bien plus qu’un nettoyage. C’est un moment de rapprochement, de tendresse, d’apaisement.

Ce mâle dominant est soigneusement entretenu. Ne parle-t-on pas « d’entretenir de bonnes relations » ? Dans les groupes qui le pratiquent assidûment, les agressions s’observent bien moins souvent.

Chez les peuples premiers, cette coutume s’accompagnait souvent de la consommation immédiate de l’insecte. (tchtoc…, un coup de dent) Récupérant donc aussitôt le sang  perdu, puisque c’est l’unique source de nourriture des poux.

Portugal au XIV ième siècle : des hommes dressent des singes pour la chasse aux poux.

Les Inuit du grand Nord se sentirent dépourvus de ce moment d’intimité quand le DDT, ce puissant insecticide, les débarrassa des parasites. Pragmatiques, certains remplacèrent les lentes et les totos par du sucre, dont ils se saupoudraient les cheveux, pérennisant ce moment de tendresse perdu.

Phtirius-pubis-morpion
Pou pubien, le morpion, dit morbac.

Quand on parle de poux, on devrait préciser.

Trois sortes de bestioles ont des écologies différentes.

D’abord le morpion, inféodé aux poils pubiens, a du mouron à se faire dans nos pays : survivra-t-il à la mode du rasage pubien chez les nouvelles générations ? Difficile à prédire.

Bien entendu, si cette mode devenait mondiale, le morbac reposerait alors bientôt dans le cimetière des espèces défuntes.

Car tout chez lui est adapté à ce biotope. Ses pinces sont réglées à la taille des poils et à l’écart de leur implantation.

Il peut s’installer à la rigueur sous les aisselles et sur les cils, mais il ne peut être que de passage dans une chevelure.

Le morpion, pou de pubis, crab louse, le pou crabe chez les anglais. Un pou qui grimpe, ho hisse !

C’est bien sûr un insecte sexuellement transmissible, et difficilement autrement, vue sa faible capacité de survivre ailleurs (12 heures).

Les membres du clergé semblaient échapper à cet oukase  biologique…

(Except in the case of clergy

Who accomplish remakable feats

And catch scabies ands crabs

On doors handles and cabs 

And blankets and lavatory seats)

(Poème cité par BUSVINE J R, un entomologiste anglais)

(Morpions et gale leur sont donnés par les couvertures, les fiacres, les poignées de porte et les sièges de WC…)

Rare témoignage passé, que le morbac, ça gratte

Ce pou là n’est transmetteur d’aucune maladie bactérienne ou virale, ce qui est un peu surprenant, et laisse rêveur. Il est génétiquement très proche du pou du gorille. Il est donc probablement fort ancien, et s’est réfugié sur nos reliquats de pelage, quand nous sommes devenus des singes nus.

Soldats anglais dans un camp de prisonniers, en proie des morpions.

Deux autres poux aiment nous accompagner: le pou de corps et le pou de tête.

Le pou de tête

Le pou de tête est connu de tous les parents. Et de tout temps, bien avant l’arrivée d’insecticides puissants. La toxicité de ces produits a invité les chercheurs à proposer d’autres stratégies. On utilise maintenant des produits qui étouffent les poux, en bouchant leurs pores respiratoires.

La distraction du dimanche Bretagne 1905

La civilisation égyptienne ne les supportait pas. Aussi les pharaons et princes avaient le crâne rasé. Hérodote rapporte que « les prêtres se revêtent de lin toujours fraîchement lavé ». Tous les trois jours, ils se rasent tout le corps, de sorte de n’avoir ni poux, ni insectes d’aucune sorte, parce qu’ils servent les Dieux. Deux fois par jour et deux fois par nuit, ils se baignent dans l’eau froide ». Ce refus « de la vermine » n’était pas toujours respecté, on a trouvé des poux sur des momies âgées de 5000 ans.

Pou de tête

Pou de corps

Reste le terrible, le pou de corps.

Il est plus petit que le pou de tête, mais les spécialistes  s’arrachent les cheveux pour le différencier génétiquement de son voisin. Il vit avec l’homme depuis longtemps, bien plus longtemps que la puce, qui elle, s’est mise à l’apprécier à l’âge des cavernes.

L’homme le supporte depuis qu’il s’habille. Le pou de corps n’aime guère l’homme nu, l’africain qui vit dans la chaleur équatoriale. L’Homo erectus, qui s’est s’enfuit vers le Moyen-orient et l’Europe, et qui s’est donc habillé, l’intéresse d’avantage.

Puis l’Homo sapiens, cet homme qui a tellement prospéré qu’il vit parfois en grandes communautés, et partout sur le planète. Et quand les conditions de vie deviennent mauvaises, que la faim, le froid s’installent, le pou exulte, s’épanouit dans la promiscuité, dans les fringues non changées, non lavées.

On devrait l’appeler pou d’habit, non pas pou de corps. C’est 30 °C qu’il lui faut, et de l’humidité. Beaucoup d’humidité, plus de 70 %. L’habit permanent est un havre pour lui. Après un exercice physique violent, ou si la personne a de la fièvre, les poux quittent le navire.

Il meurt net à 50 °C. Dans les collectivités sans chauffage, sans toilette, sans changements d’habits, le pou est roi. Mais ce grand succès a un revers: c’est une loi de la vie, presque générale, toute espèce qui prolifère, risque l’enfer, à un moment ou à un autre, elle risque l’épidémie. Et le pou n’y échappe pas: quand sa population devient explosive, il augmente le risque de tomber sur un homme porteur d’une bactérie qui le déteste.

Cette toute petite bactérie est inféodée à l’homme. L’homme peut être un »porteur sain », porteur de cette bactérie forcément intracellulaire, mais non malade.

C’est l’imprononçable Rickettsia prowasekii.

Deux mots bizarres, en fait deux noms propres de deux bactériologistes, tués par elle, au cours d’études .

Ces deux là voulaient sa peau. 

C’est elle qui a eu la leur.

Quand le pou aspire le sang d’un homme porteur de cette Rickettsie, il s’infecte; il tombe malade. Il devient tout rouge, et meurt peu après: c’est la « maladie des poux rouges ». Avant de mourir d’une diarrhée incoercible, il a salit son entourage de fécès bourrées de ces petites bactéries.

Quand l’homme se gratte, des piqûres de poux, il entraîne sous ses ongles l’excrément contaminé. La boucle est bouclée, l’épidémie peut commencer.

Le typhus est là. 

La maladie du pou entraîne la maladie de l’homme. Si l’homme guérit, il portera quand même la bactérie jusqu’à la fin de ses jours. Il pourra rechuter, sans poux, c’est la maladie de Brill-Zinsser. Cette Rickettsie, on l’a retrouvée lovée dans le creux des dents des grognards de Napoléon.

C’est l’ADN qui l’a dénoncé.

La grande armée a rapetissé autant des attaques de cette petite Rickettsie que des balles des Cosaques. La Russie de 1915 a perdu des millions d’hommes et de femmes morts du typhus. Pendant la guerre des tranchées, le soldat traquait avec ferveur le toto aux moments perdus. Car le poilu savait alors que ce toto pouvait transmettre le redoutable typhus.

Plus près de nous: Bergen-Belsen, Buchenwald, Auschwitz, Dachau.

Des centaines de milliers de vies perdues. Dans les camps de concentration, aux inimaginables conditions de survie, le typhus est la première des épidémies à s’installer.

On pourrait croire cette histoire-là appartenir au passé. Il n’en est rien. Ces épidémies explosives ont semé la terreur en Ethiopie, au Burundi en 1996, 1997. L’économie chaotique, la précarité qui s’installe « en grand », dans de nombreux pays, pour cause de mauvaises récoltes. La pénurie énergétique qui va priver de chaleur bienveillante des populations entières en hiver.

Il faudra « repenser » Typhus, pou malade de la folie de l’homme.