Rouges jardinspar Guy Grandjean
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Le mouton, l’algue et l’homme

Ecologie

Sur une île écossaise des Orcades vivent trois mille moutons, uniques au monde : ils se nourrissent d’algues ! Comment cette diablerie est-elle possible ?

Un lion végétarien ? Une vache carnivore ? Non, mais un mouton algovore ?, algivore ?, phycophage ?, oui !

Le mot d’ailleurs n’existe pas pour un animal terrestre…

Même si on avait déjà repéré sur une île Kerguélen un lapin grignotant non pas des carottes, mais des algues. Après avoir rasé toute l’île, il a bien fallu qu’il trouve d’autres végétaux à se mettre sous la dent !

Même si on avait observé que des poneys Shetland, ou des vaches bretonnes agrémentaient parfois leur quotidien de quelques algues.

Sur cette île des Orcades, ces algues étaient la richesse ancestrale : brûlées, elles donnaient de la soude, à bon prix, pour faire du savon, ou du verre. Mais vers 1800, cette soude là se vend moins bien. Les insulaires décidèrent alors de réserver leurs bonnes terres à l’élevage bovin et aux légumes.

Quant aux moutons, qu’ils se débrouillent ! Depuis longtemps, sans doute, « depuis les romains », ces petits ruminants goutaient autant à l’algue qu’à l’herbe, et c’est donc sans arrière pensée qu’en 1832, les habitants érigèrent un mur de deux mètres de haut tout au long de la côte , 22 km en tout.

Ne laissant que quelques km2 à leurs ovins. Et voici donc nos amis bêlants se satisfaisant les longs mois d’hiver à mâcher de la laminaire, cette algue brune épaisse poussant en rubans. En été ils ne dédaignent pas le peu d’herbe poussant en haut des plages, et quelques flaques d’eau douce, mais c’est bien tout.

Certains ont transporté ces moutons sur de belles prairies continentales, mauvaise idée, ils les retrouveront raides morts en quelques jours !

En fait, ils ne savaient plus digérer la cellulose .

En revanche leur système digestif s’est peuplé d’autres bactéries amies, Clostridium et autres Prevotella, une petite dizaine d’espèces sachant détricoter les sucres complexes constituants importants des algues.

La petite taille du pays du Soleil-levant, le Japon, d’autres îles, a posé à ses habitants des problèmes de ressources depuis fort longtemps. Le Japon, ce sont des montagnes dans la mer, d’où les extravagantes densités humaines sur les côtes.

Ils se sont tournés tout naturellement vers la mer pour éviter les famines, et ces richesses-là leur paraissent encore incontournables. Surtout les poissons, bien-sur, et dans bien des préparations japonaises, les algues, qui peuvent surprendre l’invité étranger. La salade wakamé est un véritable délice.

Ces algues y sont consommées depuis des siècles, et la production de Nori, l’algue qui entoure le sushi, a été soumise à l’impôt dès le VII ième siècle. Les algoculteurs japonais en produisent 250 000 tonnes chaque année.

Algue rouge récoltée à Roscoff

La paroi des algues est pavée de polymères de sucre, et pour la détricoter, la digérer donc, une enzyme est nécessaire, la porphyranase, que seuls ces insulaires possèdent.

C’est leur microbiote qui la leur fournit, précisément des bactéries intestinales anaérobies, les Bacteroïdes plebeius, qui déglinguent les montages moléculaires de ces algues.

Or, ce sont des bactéries marines qui étaient connues pour posséder cet arsenal enzymatique, une demi douzaine d’espèces, Zobellia galactanivorans étant la mieux connue.

Algue rouge surprenante, Delesseria sanguinea, qui ressemble à des feuilles de châtaignier. On y a décelé la bactérie , Zobellia galactanivorans .

Il y a eu donc transfert de gènes entre bactéries intestinales et bactéries de l’environnement, et ce transfert à permis aux Japonais de mieux profiter de ces algues.

Transfert horizontal de gènes, dit-on, entre bactéries, différent du transfert vertical, génétique.

C’est une remarquable adaptation, c’est une co-évolution. Et les bébés japonais sont tous colonisés par cette bactérie dès leur naissance !