Rouges jardinspar Guy Grandjean
search icon
Retour

La découverte récente d’un petit frère, le bonobo

Philosophie
Takayoshi Kano étonne cette femme congolaise

Dans les années 1970, c’est un homme très décidé, un scientifique japonais, qui pénètre l’épaisse forêt congolaise. En pirogue, en voiture déglinguée, en vélo, à pied.

Takayoshi, c’est son prénom, cherche des groupes de singe qu’il veut étudier, les chimpanzés nains, pratiquement inconnus à l’époque. Mais…, problèmos… : ces singes ont une trouille bleue de l’homme. Ce qui s’imagine aisément ! Nous sommes leur prédateur principal. Chassés pour en faire de « la viande de brousse », Ils se sont réfugiés dans les endroits les plus inaccessibles, perdus entre marais infestés de moustiques et forêts impénétrables. 

Il adopte plus volontiers la station debout que le chimpanzé. Mais il est surtout arboricole. Il passe la nuit dans des nids.

Etudier, c’est observer, et traduire ces observations en mots. Rien de plus difficile, mais l’exercice est intéressant, émouvant. Ne voir que ce que l’on a envie de voir est aisé. Traduire la vie émotionnelle animale par le prisme de notre propre monde intérieur est tentant, mais illusoire.

Ce que j’écris sur lui le fait rigoler

Takayoshi Kano réalise assez vite qu’il lui faudra faire des cadeaux à ces animaux pour se faire admettre, pour pouvoir les approcher. Il se met à cultiver un carré de canne à sucre, qu’il tronçonne régulièrement pour leur offrir.

Et pendant des années, cet intrépide broussard observera la vie de ces bonobos, leur nouvelle appellation, déformation d’une ville locale, Bolobo. 

L’école japonaise * dont il est issu ne travaille pas tout à fait comme les européens. Les savants japonais notent méticuleusement toutes les « interactions sociales ». Les européens sont plutôt attirés par l’observation des établissements de hiérarchie, imprégnés « de la loi du plus fort », de cette loi décrite par Darwin. Et certains même refusent « d’interagir » avec les animaux, de les nourrir par exemple.

Mais peut-on « étudier » le comportement animal sans « interactions » ?

Jane Goodall a vécu, elle, avec les chimpanzés. Elle a observé la prise de pouvoir sur un groupe par un chimpanzé mâle qui faisait peur à tout le monde en tapant des bidons l’un contre l’autre et en dévalant une colline à toute vitesse. Il était plutôt petit.

Ces études ont été ensuite publiées, et le bonobo a fait son entrée dans le monde clos des primates en grand original : son agressivité est largement inférieure à son frère chimpanzé. Elle est désamorcée par des comportements sexuels nombreux, quoique brefs, réels ou mimés, et des contacts. Entre mâles et femelles, entre mâles, entre femelles, entre jeunes… Un seul tabou : l’inceste, jamais observé.

Coït face à face, une rareté dans le monde animal

En particulier, les mâles ne brutalisent jamais les femelles, malgré leur légère supériorité physique. Les femelles sont dites « co dominantes ». C’est leur coalition naturelle qui s’oppose éventuellement aux demandes mâles inappropriées. Et ce sont les vieilles femelles qui sont les plus « respectées », mais sans qu’on puisse y déceler un désir de » pouvoir », au sens physique. On a remarqué aussi la pratique du » bouc émissaire » dans certains groupes, le monde bonobo n’est pas dénué d’injustices !

Mais l’essentiel pour moi n’est pas là.

L’essentiel est dans le regard.

Le bonobo soutient le regard humain, ce que ne fait que fugitivement le chimpanzé. Ce qu’on appelle « le contact visuel » est plus long chez le bonobo. Il interroge ? Il nous interroge ? Nous en sommes troublés. Ils sont bien nos petits frères.

Quand deux troupes de chimpanzés se retrouvent, c’est la castagne assurée. 

Quand deux groupes de bonobos se rencontrent, les premiers contacts sont des actes sexuels.

 La femelle bonobo est un cas unique dans le monde animal de disponibilité quasi permanente. Quand deux groupes fusionnent, il n’a jamais été observé d’infanticide, contrairement aux mœurs chimpanzés. Au contraire, des cas d’adoption de petits appartenant à un groupe étranger ont été documentés. Ce qui n’a jamais été observé chez d’autres primates, hommes exceptés.

Quand un de ses proches se blesse, le bonobo montre bien plus d’empathie que son cousin africain. Et même pour d’autres animaux, même pour un oiseau blessé !

Voici bien les signes de la plus grande proximité animale avec nous, même si quelques millions d’années nous ont séparé ! 

Dans cette vie animale, les chaînes de prédation sont universelles. Seules les grands prédateurs, situés donc en haut des chaînes de prédation peuvent connaître des moments de quiétude. Et encore… la menace des carnassiers sociaux a existé sur tous les continents. Mais pour tout animal, il y a deux moments de « paix » relative : l’élevage des petits et le rapprochement sexuel.

Clairement le monde Bonobo est en rupture avec ces grandes lois, quitte pour eux à vivre dans des endroits reclus, dans un environnement difficile, pour « avoir la paix ». Ils me font penser aux manchots empereurs, magnifiques oiseaux qui affrontent l’épouvantable climat Antarctique pour s’y reproduire « en toute tranquillité ». Une traduction animalière sans doute de notre « Pour vivre heureux, vivons cachés » !

*C’est assez troublant : dans la vie de l’entreprise japonaise, la hiérarchie existe bien sûr, et elle est même plus prégnante, et plus respectée. Mais les industriels français qui sont allés visiter le Japon dans les années 1980, admiratifs de leur succès, ont été surpris des comportements dans l’entreprise. Si le patron est « sacré », l’ouvrier est respecté, et écouté. La communication est bien moins formatée qu’en Europe, où une espèce de mépris entre classes sociales est presque général. D’où une impression de plus grande cohésion sociale, et d’efficacité dans le monde du travail.