Une nouvelle fable : l’robot l’boss
Quand Homo, le singe nu, est devenu chasseur, pour survivre, il s’est cru chasseur.
Il a taillé des cailloux à longueur de temps, devenus bifaces un beau matin. En un million d’années, son arme est devenue étincelante. Quand on aime, on ne compte pas, surtout pas le temps, qui n’existe pas encore.
Ces années là, il rêvait plutôt de victimes pataudes. Quand il a lancé ses premières bolas, ces deux pierres liées, il passait ses nuits à étrangler les jambes des animaux plus véloces. Itou avec ses lances en acacia qui pouvaient blesser à 15 mètres.
Mais il les a jetées au rebut quand un autre bipède, nu comme lui, l’a totalement épaté avec son arc prodigieux, et ses flèches filantes, qui trouaient le gibier lointain.
Quelques siècles plus tard, il a laissé cet arc au grand père, quand les bâtons cracheurs de feu se sont répandus, semant une mort surprenante, dans un sacré boucan.
Il tuait de plus loin encore.
Les hommes se sont multipliés. Plus souvent la faim au ventre. La très ancienne quête de territoires toujours renouvelée.
Les batailles sont devenues guerres, sur chaque continent, et dans cette immuable logique, ils les ont industrialisées.
Deux fois, elles sont devenues un enfer planétaire, une horreur inimaginable.
Même les Dieux ont tremblé. La fission de l’atome a calmé cette férocité diabolique, accompagnée de la révolution énergétique, qui a rendu l’agriculture plus efficace.
L’envie d’aller chiper de nouveaux espaces aux voisins s’est faite moins pressante.
Mais, le ventre plein, les hommes ont continué à se faire la guerre, par habitude.
Une guerre sans mort, la nouvelle guerre, la guerre économique.
Les modernes capitaines d’industrie, formés en grand nombre dans tous les pays, dans les plus prestigieuses facultés économiques, ont tous appris et utilisé la même stratégie.
La stratégie du mammouth, la grosse bête qui écrase, qui s’impose, par la peur qu’elle suscite. Sans même bouger le bout de la trompe.
Ils ont fusionné, absorbé leurs entreprises jusqu’à la multinationale.
Les banques ont d’abord accompagné cette valse planétaire, mais les plus malignes, en se cachant dans des branches peu fréquentées, se sont hissées jusqu’au sommet de l’arbre.
A leurs bottes, pour tailler dans les coûts, les capitaines se sont servis au vaste banquet de la science.
Ils ont adopté l’informatique, l’automate, l’algorithme, puis le robot.
Ces machines peaufinent le bilan comptable, cadencent nuit et jour. Elles concurrencent les hommes bien mieux qu’eux-mêmes, qui ont accéléré le pas, et commencent à courir.
Et les hommes deviennent robots à leur tour, leur intelligence s’amenuise en devenant logiciel. Certains à temps partiel, d’autres H24. Leur vie émotionnelle se réduit comme peau de chagrin, ils n’échangent plus que de maigres mots cachés dans un langage obscur, ils ne chantent plus, ignorent définitivement l’infinie beauté du monde.
Abandonné par le sourire, devenu orphelin de la nature, Homo en est réduit à imiter ses merveilleuses machines.
En 1968, dans le film 2001, l’Odyssée de l’espace, l’ordinateur Hal 9000 implore l’homme de ne pas le débrancher.
Dans les années cinquante, les auteurs de science fiction avaient prévisualisé de manière saisissante notre actuelle addiction pour les machines de toute sorte.
En 1949, Orwell avait même eu l’intuition d’une « novlangue » : elle est là, même si elle est franchement différente de celle qu’il avait pressentie.
Des mots changent de sens, à notre insu. Notre académie, bien trop lente, est débordée.
Des expressions familières, voire vulgaires font leur apparition sur la place publique. Radio Télé Journaux Affiches
De nombreux mots s’évaporent, certains raccourcissent, souvent en anglicismes plus prompts. D’autres apparaissent, imposés par la technologie et le commerce, d’obscurs acronymes fleurissent.
L’insondable mais bluffante bêtise artificielle s’impose à travers les robots conversationnels quand ils sont dits génératifs. Ce peut-être d’ailleurs l’occasion de bonnes bosses de rire, ne nous en privons pas dans cette période anxiogène !
Et se moquer de robot l’boss ne vexera personne !
Je propose comme surnom pour le Chat génératif le plus connu : le perroquet clown.
(Les « chatbots », to chat, bavarder en anglais, bot comme ro-bot)
En robotisant à tour de bras, y compris son langage, Homo, le singe nu se croit robot.